Fédération québécoise des massothérapeutes (FQM)

Pour en savoir plus sur la fasciathérapie

Dossiers, Techniques

Le fascia : un tout plus qu’une partie

Par Danièle Speary, massothérapeute agréée SMT(CC)

Pendant des siècles, le fascia n’a jamais eu la cote chez les scientifiques. L’enseignement de l’anatomie dans les écoles de médecine occidentales se faisait trop souvent au détriment des fascias, considérés comme des tissus passifs et sans intérêt. Or, cette vision était contraire à la nature même du fascia, ce curieux tissu qui relie tout à tout. Aujourd’hui, la tendance est à une approche interdisciplinaire, centrée sur la santé globale et holiste, où le corps et tout ce qui l’anime fonctionnent en synergie. On ne peut donc plus ignorer la présence de ces tissus conjonctifs qui font partie intégrante de ce que nous sommes. 

Il est donc essentiel de considérer plus que le mouvement tissulaire cutané et musculaire dans les soins de massothérapie. En gardant cet aspect en tête, les thérapeutes pourront mieux aider leurs clients, surtout ceux qui présentent des problèmes récurrents.

Un rôle viscéralement important

Il existe présentement de nombreuses recherches sur le tissu conjonctif et plus particulièrement sur les éléments du tissu, tels que les fibroblastes, les différents types de fibres de collagène, d’élastine et de réticuline. Toutefois, l’étude du fascia et de sa fonction comme organe de support a longtemps été négligée. C’est pour cette raison qu’a eu lieu, en 2015, le quatrième congrès international de la recherche sur le fascia. Le fait qu’il soit présent dans l’ensemble du corps suggère qu’il pourrait jouer un rôle majeur dans la stabilité articulaire et la coordination globale des mouvements, et causer des douleurs au niveau du dos et de nombreuses autres pathologies.

Le fascia est une mince membrane fibrillaire élastique et innervée qui pénètre, maintient et enveloppe toutes les structures du corps en formant une matrice tridimensionnelle. Ce tissu conjonctif sert de support aux organes, aux muscles et aux tissus nerveux en leur permettant de délimiter un espace de mouvement et de travail fonctionnel pour les différents systèmes du corps humain. Grâce aux fibres tubulaires qui le composent, le fascia sert également de voie de circulation au liquide lymphatique qui est ensuite acheminé aux vaisseaux lymphatiques.

Dans le fascia, nous pouvons inclure du tissu conjonctif fibreux dense tel que les aponévroses, les ligaments, les tendons, le retinaculum, les capsules articulaires, les méninges, le périoste, les fibres intermusculaires du myofascia de même que les enveloppes des vaisseaux sanguins et des éléments organiques.

Plusieurs thérapeutes manuels considérés comme des pionniers ont tenté d’aborder le tissu vivant qu’est le fascia d’un point de vue myofascial. Toutefois, le fascia n’étant pas limité au squelette appendiculaire, il existe une forte proportion du fascia qui se trouve sur le squelette axial et plus particulièrement au niveau viscéral.

Les organes dans les cavités thoraciques, abdominales et pelviennes sont en contact les uns avec les autres, tout comme les muscles squelettiques ont un système d’ancrage et de glissement les uns contre les autres. La différence principale entre les articulations viscérales et articulaires des muscles squelettiques est l’absence d’attaches musculaires qui permettent le mouvement de l’organe dans l’espace. Prenons l’exemple de l’estomac : lorsque le diaphragme se contracte, l’estomac se fait prendre en étau, entre le diaphragme et les autres organes en raison de l’augmentation de la pression intra-abdominale. L’estomac doit donc avoir la possibilité de bouger afin de ne pas nuire à son travail, ni à celui des autres organes à proximité. Ceci est sans compter tous les mouvements que le corps humain peut effectuer (rotation, flexion, latéroflexion du tronc) et qui compriment également l’estomac selon différents axes. L’estomac doit pouvoir glisser sur la surface des autres organes et des tissus avoisinants. Cependant, si l’estomac a la capacité de se déplacer dans l’abdomen, il doit être en mesure de rester dans une certaine zone et pour ce faire, il y aura présence de points d’ancrage dans la cavité abdominale. Les organes sont maintenus en place par ces différents points d’ancrage tout en se trouvant à l’intérieur des différentes cavités du tronc (pleural, péricarde, péritonéal).

Les organes à l’intérieur du thorax sont couverts d’une fine couche de tissu conjonctif appelé plèvre viscérale. Dans l’abdomen, la majorité des organes sont contenus dans une autre fine couche de fascia qu’est le péritoine viscéral. Ces points d’ancrage utilisent différents systèmes composés de tissu conjonctif, tels que le système de membrane double, le sytème ligamentaire, la pression intra-abdominale et intra-thoracique, le système de mésentères et le système d’épiploon afin de soutenir chaque organe.

La membrane double est composée d’une couche de fascia viscéral (interne) et d’une couche de fascia pariétal (externe), les deux glissant l’une sur l’autre à l’aide de liquide séreux qui agit en tant que lubrifiant. Cette double couche de fascia permet également un effet de succion, comme celui produit par deux lamelles de verre glissant l’une sur l’autre avec un peu d’eau entre elles. Le système ligamentaire, quant à lui, permet d’ancrer les viscères sur les structures osseuses du squelette. En fait, il s’agit de replis de la plèvre et du péritoine qui permettent de maintenir les organes contre la cavité ou de relier deux organes, et d’assurer leur suspension contre la gravité. Voici un bon exemple : le ligament falciforme, surnommé « ligament suspenseur du foie », qui relie la face antérieure du foie à la paroi abdominale antérieure et qui sépare le foie en deux lobes principaux, droit et gauche; ce ligament s’attache directement au diaphragme et empêche la masse dense du foie de s’écraser sur les structures inférieures, comme le côlon ascendant et transverse et l’intestin grêle.

Ce système de suspension des organes va bien au-delà du foie; il est aussi impliqué dans la mobilité de la cage thoracique et des poumons au-dessus desquels se trouve le dôme pleural où il y a présence, comme pour le foie, de ligaments suspenseurs qui retiennent les poumons à la première côte et même à la colonne cervicale.

Si nous considérons donc cet ensemble ligamentaire d’un point de vue holistique, une problématique de mouvement du foie pourrait avoir des conséquences jusqu’au cou à travers ces lignes de fascia ascendantes. Ainsi, par exemple, une personne souffrant de douleurs chroniques au cou, pourrait continuer de souffrir malgré des interventions répétées au niveau cervical.

Ces restrictions articulaires des organes peuvent manquer de mouvement en raison de glissements déficients entre l’organe et ses structures avoisinantes; elles peuvent mener à des fixations, par exemple durant le processus de cicatrisation à la suite d’une chirurgie, sans compter le stress et les mauvaises habitudes posturales. Lors d’une intervention chirurgicale, le contact de l’air ambiant avec les membranes séreuses entraîne un assèchement de celles-ci, ce qui tend à mener à la formation de restrictions.

Une fois les fixations en place, l’organe bougera autour de ce nouveau pivot, ce qui change l’axe de mouvement de l’organe et l’information apportée par les mécanorécepteurs et, par conséquent, peut mener à des spasmes locaux et généralisés via un tracé réflexe. Ce changement diminue la circulation du sang et de la lymphe vers l’organe, affectant son bon fonctionnement. De plus, les adhérences et fixations des organes peuvent toucher les muscles et les tissus impliqués dans les fascias communs et donc limiter leurs glissements. C’est ainsi que des problèmes posturaux et autres peuvent surgir. Certains auteurs, comme Jean-Pierre Barral, vont même jusqu’à dire que plus de 80 % des problèmes chroniques touchant le squelette appendiculaire et même axial seraient probablement causés par des adhérences et des fixations viscérales.

Dans ce contexte, il devient difficile d’ignorer le rôle possible des restrictions, particulièrement dans des pathologies chroniques et des déséquilibres posturaux. Dans une approche holistique du corps humain, le rôle de l’adhésion des fascias aux organes est primordial. 

Plusieurs écoles accréditées par la FQM offrent des cours de formation continue en fasciathérapie ou dans une autre technique myofasciale.

Références
4th International Fascia Research Congress, septembre 2015 à Washington D.C., et novembre 2015 à Boston
BARRAL, J.-P., MERCIER, P., (2005).Visceral Manipulation, Revised Edition, Eastland Press, 2015