Fédération québécoise des massothérapeutes (FQM)

Parcours professionnel: une stagiaire pas banale!

Parcours professionnel

Une stagiaire pas banale!

Recherchant un domaine humain, j’ai débuté ma carrière comme infirmière dans les hôpitaux de Québec, il y a quelques années. J’ai eu l’occasion de masser quelques patients pour ensuite constater les bienfaits immenses qu’ils ressentaient, malgré que mes «massages» n’étaient que de légers effleurements et d’une présence à l’autre. C’est par la suite que j’ai effectué, à l’école Guijek de Montréal, un cours de massage suédois ayant comme objectif ultime de masser dans les hôpitaux. J’ai cependant vite réalisé que cette carrière en milieu hospitalier n’est en réalité que très peu accessible et que j’allais peut-être devoir moi-même agir comme pionnière et faire quelques premiers pas. Pour me rapprocher de mon objectif, j’ai ensuite commencé un cours d’oncomassothérapie à la même école; j’avais la nette envie d’effectuer mes stages en milieu hospitalier. Voyageuse et sportive, je gardais toujours en tête le rêve que j’avais depuis plusieurs années : traverser les Alpes françaises à pied et explorer la Suisse. Pourquoi ne pas marier le tout ensemble m’avait dit un professeur ?! Wow, ce fut une révélation pour moi et je me suis ensuite lancée dans cette grande aventure !

Le début d’une grande aventure !

Avec détermination et emballement, j’ai commencé à faire des recherches afin d’effectuer mon stage d’oncomassothérapie en Suisse. C’est alors que j’ai découvert un article sur la massothérapie dans un hôpital à Lausanne écrit par un infirmier-massothérapeute… québécois! Après quelques rendez-vous sur Skype, Richard Girard et moi envisagions la possibilité de mon stage au Centre hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV). Pour cette grande préparation à distance, il faut aussi dire que la barre était haute : visas possiblement nécessaires, paperasse pour la demande d’un stage jamais réalisé auparavant, et ce, dans un énorme centre hospitalier ayant plus de 10 000 employés ! Comment arriver au bout de cela sans perdre mes objectifs principaux de vue, soit de réaliser mon rêve, masser dans un hôpital et avoir du plaisir ! Je vous confirme que la préparation fut finalement plus simple que mes appréhensions.

Parlons un peu de cette personne fantastique qu’est Richard. Il travaille pour le CHUV depuis 15 ans. Il a effectué ses études d’infirmier et de massothérapeute au Québec et a complété plusieurs formations en médecine complémentaire en Suisse. Il a mis sur pied un projet appelé « Bien-être et détente » dans une unité d’hémato-oncologie où il travaillait d’abord comme infirmier. Ce projet a duré 10 ans jusqu’en septembre 2017. Depuis octobre 2017, Richard travaille 2 jours par semaine comme conseiller en médecines complémentaires et massothérapeute auprès de cette patientèle. Il est également enseignant pour des massothérapeutes médicaux.

C’est donc à la suite de mon trajet à pied sur le GR5, de Menton (Sud-Est des Alpes françaises) jusqu’à Chamonix, passant par de magnifiques paysages pendant un mois, que je mets finalement les pieds en Suisse. C’est lorsque j’aperçois enfin le CHUV et rencontre Richard que je réalise à quel point c’est incroyable de bâtir un projet et, après plusieurs mois de préparation, constater que tout fonctionne : il suffit d’y croire vraiment ! Comme Richard et moi avions plusieurs intérêts et points en commun, ce fut un véritable bonheur de partager ce projet exaltant ! Alors le plan !? Pendant que Richard œuvre à son nouveau poste, je suis en charge de la massothérapie sur le département d’hémato-oncologie pour le mois d’octobre 2017.

Mon séjour rêvé en Suisse et la réalisation du projet

Voici un résumé de mon stage réalisé à l’hôpital du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) de Lausanne en Suisse. J’ai été introduite sur l’unité d’hémato-oncologie pour deux après-midi par semaine, sur une période d’un mois. La clientèle y était adulte et présentait majoritairement des cancers du sang (leucémies), des myélomes multiples et des syndromes myélodysplasiques. La plupart suivait un processus de chimiothérapie; ils étaient donc tous hospitalisés pour plusieurs jours ou semaines. La massothérapie aux patients y était déjà implantée depuis 10 ans grâce à Richard qui en était le seul massothérapeute responsable. C’était donc habituel pour cette équipe médicale de collaborer avec un massothérapeute et les médecins y sont ouverts aux bienfaits du massage. Je n’ai donc pas eu de souci d’intégration dans ce milieu, j’ai même été fort bien accueillie.

Mon objectif principal de stage fut de me familiariser davantage avec les contre-indications en massage relatives aux gens ayant le cancer, étudiées lors de mes cours théoriques d’oncomassothérapie ainsi que de collaborer avec l’équipe médicale. Cela afin de prendre de bonnes décisions en massage et d’adapter mon soin le plus possible à la personne et à son état physique et psychologique. Je voulais également apprendre une méthode en massothérapie hospitalière différente pour élargir mes connaissances et me donner de nouvelles pistes d’intervention.

La première journée fut consacrée à l’orientation. Je me suis familiarisée avec le département, la terminologie, les traitements spécifiques pour les cancers du sang, la médication et les tests. Par exemple, plusieurs noms de médicament sont différents d’au Québec, ce qui impliquait un nouvel apprentissage pour moi. Richard m’a également donné plusieurs conseils pour mieux adapter mon soin et m’a indiqué les contre-indications auxquelles je dois porter une attention particulière.

Ayant un système immunitaire affaibli en raison de la chimiothérapie, les patients ont souvent des pics de fièvre et je dois éviter de les masser durant cette période pour ne pas disséminer l’infection. Plusieurs patients avaient également des antécédents de thrombus depuis moins de 6 mois : à éviter ! J’ai rencontré aussi plusieurs patients ayant des coronaropathies ou autres affections cardiaques. Le massage doit être très local et doit parfois être évité comme c’est le cas lors d’anévrisme, étant donné le risque de rupture d’anévrisme pouvant mener à une hémorragie grave. Tout trouble de la circulation mérite aussi une attention particulière et nécessite parfois une validation auprès du médecin. Je me suis donc vite rendue compte que le massage suédois a ses limites dans les hôpitaux mais qu’un geste de présence, voire une méditation guidée, peut être réalisé auprès des patients ayant ce type de contre-indication.

J’ai également remarqué que les patients apprécient beaucoup l’ambiance de détente que procure le soin. Richard m’a conseillé d’abord de créer une «bulle» autour du patient, c’est-à-dire de fermer les rideaux et prendre le temps d’installer la personne de façon confortable. Cela invite davantage le patient à se détendre et augmente l’efficacité d’un massage qui se doit d’être raccourci en raison de précautions. Enfin, une présence calme et douce apporte réconfort et bien-être à la personne malade.

La principale difficulté que j’ai rencontrée fut celle concernant le temps. Le manque de disponibilité pour les infirmiers et infirmières afin de récolter des informations ainsi que la disponibilité incertaine des patients occasionnaient parfois des conflits dans la planification des soins. Comme oncomassothérapeute, il y a donc beaucoup de temps qui est consacré à la collecte de l’information et à l’organisation des massages. Concernant cette difficulté, je crois qu’anticiper nos soins peut grandement aider à sauver du temps dans le milieu hospitalier, comme me l’a bien mentionné Richard. Par exemple, scruter le dossier du patient le jour avant le rendez-vous de massage pour avoir déjà cerné les particularités puis de rencontrer le patient afin de fixer une heure de rendez-vous pour le lendemain aide à sauver du temps, si l’on est à l’aise de planifier les soins de massothérapie. Cependant, comme je suis plutôt intuitive pour ce type de situation, je préférais aller voir le patient le jour même et voir avec lui quel est le meilleur moment pour recevoir le soin.

Durant ce stage en Suisse, je souhaitais également être en mesure de bien déterminer quels patients sont à masser en priorité. Comment savoir lesquels je masserais aujourd’hui et pour quelles raisons ? Pas toujours évident! Richard m’a invité à voir d’abord les patients qui ont une longue période d’hospitalisation. Les demandes de massage des patients ainsi que les demandes venant des médecins ou infirmières étaient aussi considérées comme prioritaires. De plus, je me fiais aux isolements (précautions en cas de maladies contagieuses) et aux niveaux immunitaires des patients pour déterminer lesquels j’irais masser en premier et en dernier durant une même journée.

Réaliser de la massothérapie dans les hôpitaux s’est révélé très fatigant pour moi. Après mes blocs de 4 heures, je ressentais un certain épuisement et un besoin de me ressourcer. Peut-être est-ce que je sentais facilement durant les massages que les patients étaient pour la plupart nerveux et avaient beaucoup de tensions, autant physiques que psychologiques. J’ai effectivement été étonnée de constater à quel point la grande majorité des patients ont de la difficulté à lâcher-prise durant les soins relaxants. Je crois d’ailleurs que c’est possible de se sentir seule comme massothérapeute car il n’y a pas d’équipe de massothérapeutes sur place car ils ne sont pas beaucoup à exercer dans les hôpitaux pour partager notre expérience, contrairement à tout autre professionnel de la santé. Je crois qu’il est donc important de rester à l’écoute de soi et en contact avec nos professeurs et nos superviseurs pour plus de soutien !

 

Pour ma part, je peux dire que j’étais au bon endroit pour pouvoir me ressourcer. En dehors de mes heures de stages, j’en profitais pour partir « pack sac » avec mon copain en montagne pour quelques jours. De bonnes occasions pour se reconnecter à soi complètement. Je me suis aussi beaucoup questionnée au sujet des tensions physiques et intérieures que pouvaient vivre les patients atteints de cancer. Est-ce dû à l’effet stresseur des traitements, de l’incertitude vécue face à la guérison et à la mort, de l’agitation habituelle du département médical ? Ou est-ce plutôt une tension intérieure déjà présente que les gens atteints de cancer ont tous en commun ? Un mélange de toutes ces raisons peut-être…

Lors de ce stage, j’ai beaucoup aimé devoir me « casser la tête » par rapport aux formules sanguines et à la détermination de la pression idéale pour le patient ainsi qu’à reconnaître quel type de massage le patient peut recevoir ou non. J’ai apprécié aussi découvrir un nouveau système médical informatisé pour les dossiers et documenter mes soins à l’endroit prévu pour les thérapies complémentaires. Je trouve que cela est une preuve d’une belle avancée technologique et d’ouverture face aux complémentarités possibles dans les hôpitaux. La Suisse est en effet assez ouverte aux thérapies naturelles comme l’aromathérapie, souvent utilisée en complément du massage pour les cancéreux.

Ce nouvel environnement m’a permis d’apprendre beaucoup et d’être davantage à l’aise avec l’oncomassothérapie. Je me sens beaucoup plus solide face aux contre-indications en massage et en confiance dans mes décisions ainsi que pour l’orientation des soins de massothérapie. Je connais également mieux mes limites au niveau des connaissances face au massage hospitalier et je suis à l’aise de me référer au médecin au besoin. Le fait d’être dans un rôle «extérieur» ou plutôt non essentiel, contrairement aux autres professionnels présents, me permet d’avoir un autre regard sur le patient et d’apporter quelque chose de nouveau aux patients et même à l’équipe médicale. Les «feedbacks» des patients après leur soin en disent beaucoup sur l’appréciation positive de ce moment de détente qui leur permet de ressentir à nouveau des sensations agréables dans leur corps et de se reconnecter à eux malgré leur maladie.

Puis, après ce merveilleux séjour en Suisse puis un court séjour en Italie, je suis de retour au Québec avec mille autres projets en tête !

Merci à tous ceux qui m’ont permis de réaliser ce projet : Éric Chabot (directeur de mon école Guijek), Richard Girard (infirmier, massothérapeute et superviseur de mon stage), mes professeurs, Élodie Darnay (massothérapeute suisse), mon copain Sacha, ma famille et tout particulièrement ma sœur Andrée qui, avant son décès, m’avait fortement encouragée dans ce projet.

Rédaction ❚ Jeanne Banville, massothérapeute agréée et infirmière
jeannebanville@gmail.com
LE MASSAGER NOVEMBRE 2018