Fédération québécoise des massothérapeutes (FQM)

Au pays du sourire et du massage

Dossiers, Techniques, Parcours professionnel
Il y a un peu plus de huit ans, j’avais vu un reportage à la télévision française où l’on interviewait notamment des Allemands, des Australiens et des Anglais, la plupart étaient des kinésithérapeutes ou des physiothérapeutes qui s’étaient rendus en Thaïlande pour suivre des cours au Wat Po. La majorité des participants affirmaient que cette formation était rigoureuse et intéressante. Il n’en fallait pas plus pour semer chez moi cette graine de curiosité et d’aventure. Par la suite, mes lectures ont confirmé mon intérêt d’aller suivre une formation en massage thaï.

Je suis donc partie le 25 décembre 2011 pour suivre mon cours au Wat Po. Le Wat Po de Bangkok a trois écoles affiliées : une à Nonthaburi, une à Chiang Mai et une à Salaya. J’ai choisi celle de Chiang Mai parce qu’elle est située au nord (il fait donc moins chaud) et le fait que cette ville soit plus petite que Bangkok (la ville de Chiang Mai compte 175 000 habitants) m’a attiré.

 

Qu’est-ce que le Wat Po

En 1782, le roi Rama I restaure le Wat Po pour en faire un monastère royal de premier ordre. Après cette restauration et durant le règne de Rama I et Rama III, le Wat Po deviendra le centre des arts et de connaissance où la sagesse Thaï sur la médecine traditionnelle et les massages seront réunis pour les générations futures. Que cela soit pour les recettes de plantes médicinales, les diagnostics et les traitements pour les problèmes courants ou les maladies chez les bébés, les écrits et les dessins sur les techniques de massage et même des statues d’ascètes vénérés y sont conservées. C’est la première université ouverte à tous.

Le massage étant la base de la médecine thaïe traditionnelle, l’école élira domicile à l’intérieur des murs du monastère en 1955. C’est la première école de médecine thaïe reconnue par le ministère de l’Éducation en Thaïlande. L’école offre quatre cours de base soit la pharmacopée thaïlandaise, la médecine thaï, la formation pour devenir sage femme et le massage. Le Wat Po est reconnu mondialement pour ses traitements et ses cours de massages traditionnels. D’ailleurs, on désigne le massage qu’y est donné comme étant le Wat Po. Considérant sa renommée, beaucoup de Thaïs et d’étrangers sont venus y suivre des formations.

 

Rigueur et réputation

Le Wat Po profite d’une excellente réputation et la rigueur de son enseignement est reconnue par tous. C’est une école de prestige. Elle est la première à être sous contrôle du ministère de l’Éducation de la Thaïlande. D’ailleurs, tous les Thaïlandais, avec lesquels j’échangeais, avaient des commentaires élogieux pour cette école. Avant la création de cette école, les Thaïs transmettaient leur savoir de génération en génération, mais bon nombre de ces connaissances sont tombées dans l’oubli.

C’est en 1836, suite à un décret royal du roi Rama III, qu’on inscrit le massage dans l’art et la science ancienne au même titre que la pharmacopée et la médecine traditionnelle. Le Wat Po devient une sorte d’université détenant les dessins de 60 points et lignes du corps humain et un guide pour soigner des problèmes spécifiques par le massage. En 1906, le roi Rama V, par un autre décret, fait traduire les écrits de différents dialectes en thaï puis en 1962, il ouvre un cours de massage invitant des professeurs expérimentés à venir donner leur cours au Wat Po. Dernièrement, en 1991, à la suite de conférences et séminaires avec 18 professeurs, le massage thaï est né. Il comporte dix lignes majeures et doit être facile, efficace et à la portée de tous.

Le massage est donc une affaire sérieuse au Wat Po. En Thaïlande, la population considère le massothérapeute comme le premier professionnel de la santé que l’on consulte pour ses malaises physiques. Les Thaïs n’ont pas le réflexe d’aller à l’hôpital. Dans leur bilan de santé, ils vont jusqu’à demander aux clients s’ils ont des os cassés.

Je me suis fait masser plusieurs fois en Thaïlande, et j’ai constaté que ce ne sont pas tous les massothérapeutes qui ont suivi leur cours au Wat Po. Par contre, en Thaïlande, l’enseignement des dix lignes est respecté par tous. D’après mon expérience, la grande différence entre les massothérapeutes qui sont formés au Wat Po et les autres, c’est que ceux qui ont étudié dans la prestigieuse institution possèdent une meilleure compréhension des problématiques du corps, une écoute musculaire et un désir de résoudre l’inconfort physique. Avec un massothérapeute formé au Wat Po, nous sommes en présence de professionnels et de soignants.

 

Retour à l’école

Au premier cours, les professeurs nous remettent un sac contenant un livre sur le massage thaïlandais, un cahier pour prendre des notes et des photocopies avec photos expliquant les manœuvres du massage. La communication n’est pas toujours simple, mais des connaissances sommaires en anglais suffisent à se faire comprendre.

Le premier jour, la directrice de l’école m’a désigné mon professeur pour la journée. Nous commençons la formation en étudiant les différentes photos des photocopies et en les commentant. Ensuite, Ting, mon professeur, pratique les manœuvres sur moi. Par la suite, c’est à mon tour de pratiquer les mêmes manœuvres sur mon professeur. Ce dernier corrige mes manœuvres au fur et à mesure que je les pratique. Ensuite, nous alternons, c’est-à-dire que je reçois et je pratique différentes manoeuvres toute la journée. C’est une méthode d’enseignement basée sur la pratique et la répétition. Toutes les journées, on répète la même routine : prières, méditation et massage en alternance.

Les cours se déroulent sérieusement et dans la bonne humeur. La directrice et les professeurs nous transmettent leur savoir ancestral ainsi que la réputation du Wat Po qui est garante de la tradition et nous devons en être dignes. Au bout de cinq jours à six heures par jour, nous en sommes à l’examen. L’intégration est faite, il faut dire que je passais deux heures par jour à répéter la routine. L’examen consiste en une demi-routine qui dure entre 90 et 120 minutes. Un massage thaïlandais complet dure habituellement trois heures.

Au moment de l’examen, j’étais un peu nerveuse mais surtout confiante. L’examen s’est passé en présence d’un client et d’une examinatrice. Après avoir complété le bilan de santé, je commence mon massage. À la suite du massage, le therapeute doit demander des commentaires au client et donner des suggestions pour une vie plus saine et l’inviter à revenir se faire masser. J’ai réussi mon examen! Les professeurs sont tous venus me féliciter.

Pour devenir professeur au Wat Po, il faut de deux à quatre ans de pratique, mais il faut également avoir le contrôle de ses émotions, être un bon pédagogue et faire preuve d’empathie envers ses élèves. Un bon professeur doit bien faire pratiquer son élève afin que celui-ci gagne en assurance. Le rôle du professeur consiste notamment à encourager l’élève à persévérer.

 

Vivre de la massothérapie en Thaïlande

Pendant mon séjour, j’ai rencontré trois massothérapeutes qui m’ont livré la raison de leur choix de métier. Les Thaïlandais sont des gens discrets, mais Chai a bien voulu se prêter au jeu. J’ai commencé par lui demander ce qui l’avait conduit vers le massage? « Je me suis fait masser souvent dit-il. J’étais curieux d’apprendre. J’ai donc suivi une formation au Wat Po. C’est quand un client, un canadien, m’a dit que je l’avais aidé, et qu’il ne s’était jamais senti aussi bien, alors, j’ai compris que c’était ma place ».

Peux-tu en vivre? « Pour le moment, non. Je masse à temps partiel. C’est aussi plus difficile pour un homme. Beaucoup de femmes et d’hommes n’aiment pas se faire masser par un homme. J’ai un autre business et dans un avenir rapproché, j’aimerais faire plus de massages et moins de business. Mon nom commence à être connu ».

À l’institut des Aveugles, j’ai rencontré monsieur Note. Je lui ai posé les mêmes questions qu’à Chai. « Avant de masser, je vendais des billets de loto sur la rue. C’est un métier difficile et cela devient encore plus dur en vieillissant ». La possibilité d’avoir un travail plus intéressant l’a poussé vers le massage. C’est le commentaire d’un client mal en point qui le remerciait d’avoir arrêté sa douleur qui l’a convaincu de son choix. Aujourd’hui, il masse à temps plein et il en vit.

La troisième personne rencontrée est une jeune femme. Je l’ai rencontré dans son bureau où le logo de Massage of Quality, délivré par le ministère du Tourisme de Chiang Mai était affiché sur le mur à côté de ses diplômes. C’est sa mère qui lui a enseigné le massage avant de poursuivre sa formation. L’attente des clients peut être longue. C’est un revenu modeste, mais un travail noble et apprécié.

Le métier de massotherapeute est très répandu dans le pays. Presque tout le monde connaît une personne de son entourage qui le pratique. La population thaïlandaise voit le massage comme une médecine traditionnelle. Le massage fait partie de la culture, c’est un métier noble qui est considéré comme une vocation. Le massage fait partie intégrante de cette société.

Le fait d’être massothérapeute dans mon pays et d’être venue en Thaïlande et plus précisément au Wat Po, apprendre leur technique m’a permis plus de proximité avec ce peuple réserve qui aime l’harmonie. Nous avons un point d’ancrage et la curiosité réciproque nous a permis d’avoir des échanges sincères.

Le but de mon voyage n’était plus seulement d’apprendre une technique de massage, mais aussi de comprendre la réalité des gens qui pratiquent mon métier à l’autre bout de la planète. Il est agréable d’être dans un pays ou la massothérapie est valorisée et reconnue par tous, du plus humble au roi! Pour moi, cette expérience fut beaucoup plus qu’une formation en massage thaï, mais réellement une expérience humaine enrichissante. J’y retourne, un autre cours m’attend en décembre 2012! 

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Marie-Claude Blanchet est massothérapeute agréée

Vol. 29 numéro 2
Date de parution : 15-08-2012