Fédération québécoise des massothérapeutes (FQM)

L’inconduite sexuelle par le client en massothérapie

Dossiers

MÊME SI ON RECONNAÎT AUJOURD’HUI LE CARACTÈRE ABUSIF DE L’INCONDUITE SEXUELLE, SON CONCEPT DEMEURE MAL DÉFINI. LE POINT SUR CETTE PROBLÉMATIQUE QUI TOUCHE TOUS LES DOMAINES, DONT CELUI DE LA MASSOTHÉRAPIE.

Un massothérapeute remarque l’érection de son client pendant un soin. Un autre est mal à l’aise à la suite des propos à connotation sexuelle émis par la personne qu’il masse. Un autre encore se fait toucher les fesses dans sa salle de massage. Bien que ces comportements soient inappropriés, s’inscrivent-ils dans le concept même de l’inconduite sexuelle ?

DIFFÉRENCIER L’AGRESSION ET L’INCONDUITE SEXUELLE

« Lorsqu’on parle d’un rapprochement sexuel entre un massothérapeute et son client, on fait référence à deux types de définitions : l’agression et l’inconduite sexuelle », explique Geneviève Rolland, sexologue et formatrice en massothérapie.

Dans son document Orientations gouvernementales en matière d’agression sexuelle, publié en 2001, le gouvernement du Québec définit l’agression sexuelle de la manière suivante :

« Une agression sexuelle est un geste à caractère sexuel, avec ou sans contact physique, commis par un individu sans le consentement de la personne visée ou, dans certains cas, notamment celui des enfants, par une manipulation affective ou par du chantage. Il s’agit d’un acte visant à assujettir une autre personne à ses propres désirs par un abus de pouvoir, par l’utilisation de la force ou de la contrainte, ou sous la menace implicite ou explicite.(1) »

Il faut savoir que l’agression sexuelle porte atteinte à la sécurité et à l’intégrité physique et psychologique de la personne. Elle est reconnue comme un geste punissable par le Code criminel canadien.

« Pour sa part, l’inconduite sexuelle élargit la conception de l’agression pour y inclure non seulement les gestes, mais aussi les propos abusifs à caractère sexuel, précise Geneviève Rolland. On soulignera ici le terme abusif, qui fait référence à un abus de pouvoir. » Il faut cependant savoir qu’au Canada, aucune définition officielle de l’inconduite sexuelle n’existe actuellement. En fait, le terme est apparu dans les médias au cours de l’automne 2017. On l’utilise depuis pour faire référence à tous les comportements sexuels inadéquats, allant de la simple parole à l’agression sexuelle à proprement parler.

Le spectre de l’inconduite sexuelle est très large. « Il peut s’agir d’une blague inappropriée à connotation sexuelle, qui ne constitue pas un acte criminel en soi, explique Sophie Bergeron, directrice générale du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) Centre-du-Québec. Il peut aussi s’agir d’un geste punissable par le Code criminel, par exemple le fait de toucher les fesses d’un ou d’une collègue de travail sans le consentement de cette personne. Entre les deux, il y a les textos à connotation sexuelle qui sont incessants et/ou non souhaités, l’exhibitionnisme, les commentaires déplacés, les regards insistants sur les seins, les fesses ou une autre partie du corps d’une autre personne, mettant cette dernière inconfortable. »

LE MASSOTHÉRAPEUTE VICTIME D’UNE INCONDUITE SEXUELLE

Dans toutes les professions de la santé, il existe un rapport inéquitable entre le professionnel et son patient : celui-ci arrive avec un besoin auquel le professionnel peut répondre par ses connaissances et ses compétences. La massothérapie se voulant une approche thérapeutique, elle n’échappe donc pas à la règle.

Comme l’explique Geneviève Rolland, « le massothérapeute est en relation de pouvoir face à son client qui, lui, se retrouve dans une situation de vulnérabilité. C’est au massothérapeute d’établir les balises et d’encadrer la relation thérapeutique. » De cette manière, il crée un lien de confiance et sécurise sa clientèle.

Cela dit, même si le cadre du soin est clairement défini par le massothérapeute, l’équilibre de la relation thérapeutique n’est pas assuré. « Il ne faut pas sous-estimer l’effet du toucher et de l’intimité sur la personne qui reçoit le massage, explique Nancy Gagnon, massothérapeute, spécialiste en protection personnelle et présidente chez Alpha Contact. Les massothérapeutes entrent dans l’intimité de leurs clients, ce qui pourrait peut-être faire surgir chez eux des sensations ayant le potentiel de déséquilibrer la relation thérapeutique. »

Si le massothérapeute ne contrôle plus le cadre du soin, la nature de la relation peut plus facilement s’orienter vers une avenue qui n’est plus de l’ordre du thérapeutique. Un terreau fertile qui pourrait inciter le client à glisser vers la séduction… ou l’inconduite sexuelle.

AMBIGUÏTÉ, QUAND TU NOUS TIENS…

« Pour parvenir à ses fins, l’abuseur fonctionne normalement en semant le doute », explique Nancy Gagnon. Un commentaire louche, un mouvement dont l’intention n’est pas claire, un regard suspect.

En tant que massothérapeute, vous ne voulez pas porter de mauvaises intentions à un client qui n’en aurait peut-être pas. Vous hésitez à clarifier une situation ambiguë, de peur de brimer votre relation avec le client ou, pire encore, avec votre employeur. Vous commencez à douter de votre ressenti, de votre intuition.

LES CONSÉQUENCES DE L’INCONDUITE SEXUELLE

Plusieurs massothérapeutes, hommes et femmes, ont déjà été victimes d’une inconduite sexuelle de la part d’un client. Certains oublieront l’événement rapidement. D’autres en sortiront traumatisés.

« Ce n’est pas la gravité objective d’un crime qui détermine l’étendue et l’importance des conséquences sur la victime », affirme Caroline Gingras, sexologue et coordonnatrice clinique au CAVAC Centre-du-Québec. L’impact d’un crime sur une personne dépendra entre autres de l’aspect répétitif de la situation, du lien que la victime entretient avec son agresseur, de son parcours professionnel, de son équilibre émotionnel au moment du crime, de la portée et de la force de son réseau, de même que du sens donné par la personne au geste commis. « Que ce soit une agression sexuelle ou une inconduite sexuelle, les conséquences peuvent donc être sensiblement les mêmes », souligne la sexologue.

L’Institut national de santé publique a recensé les conséquences possibles de l’agression sexuelle chez les victimes(2). Notons, par exemple :

Des symptômes d’un stress post-traumatique (flash-back, cauchemars, hypervigilance même en l’absence de danger, évitement de ce qui lui rappelle le crime, etc.) ;

Des dysfonctions sexuelles ;

Des problèmes somatiques (migraines, nausées, fatigue, etc.) ;

De la peur, de l’anxiété, des phobies sociales ;

Une détresse psychologique ;

Des idées suicidaires ;

Un abus d’alcool ou de drogues ;

Une perte de confiance en soi ;

L’isolement ;

Une crainte de l’intimité.

Somme toute, les conséquences de l’inconduite sexuelle peuvent s’avérer très graves. Mieux vaut donc intervenir le plus rapidement possible afin de faire cesser une situation potentiellement préjudiciable. Pour ce faire, le massothérapeute doit cependant être bien outillé.

RÉFÉRENCES
1 Gouvernement du Québec (2016). Table de concertation sur les agressions sexuelles. Repéré à http://www.agressionssexuelles.gouv.qc.ca/fr/mieux-comprendre
2 Institut national de santé publique (2018). Trousse média sur les agressions sexuelles. Repéré à https://www.inspq. qc.ca/agression-sexuelle/comprendre/consequences

 

Rédaction KATIA VERMETTE

katiavermette@hotmail.com

LE MASSAGER AOÛT 2018